Il faut bien aborder la nuit. Dans la salle de bain, je brosse d’abord la prothèse, puis je passe la soie dentaire ou la petite brosse entre les dents. Je marche, parfois en rond, parfois je me rends au salon, la télévision offre des nouvelles qui sont presque toujours les mêmes qu’au journal de 18 heures. Je réalise systématiquement qu’avec le bruit du petit moteur électrique de la brosse à dents je n’entends pas ce que raconte la journaliste. Je reviens alors dans la salle de bain pour y terminer le brossage. Dans l’armoire règne un ordre utile. Il ne faut pas se tromper de médicaments. Le matin c’est à gauche, le soir c’est à droite. Je ne me souviens pas s’il m’est arrivé de ne pas les prendre. Lorsque je compte les comprimés il en reste toujours plus dans la bouteille de gauche. Je ne suis pas encore parvenue à mettre de l’ordre dans la routine du matin. Terminons d’abord la nuit.
Il faut bien aborder la nuit. Je mets le cell su’a charge, et règle une alarme. Parfois au matin elle s’active avant moi. Je ne désespère pas, ils arriveront pour vrai tous ces matins où l’alarme me sortira du sommeil pour commencer une nouvelle journée.
Il faut bien aborder la nuit. Il ne doit pas y avoir de fuite au masque. Le tuyau est froid sur ma peau, mais il se réchauffe à son contacte. Je cale ce serpent de plastique le long du plexus solaire maintenu par le radius droit contre le ventre, puis j’attends l’absence. La nuit, en bougeant, il vaut mieux prendre soin du tube, mais cela ne me réveille presque plus maintenant. Oui, je continue de mettre de l’ordre dans la nuit et il arrivera bien que les rêves reviennent habiter cet instant obscur, mais il faut d’abord que je sois moins occupé avec la quincaillerie médicale.
Il faut bien aborder la nuit. Je sais que je rêve. Je le sais, croyez moi. JE LE SAIS! TABARNAK!
C’est lorsque l’alarme met le feu dans ma tête, que je le sais. Parfois ce sont de moments heureux qui s’évaporent consumés par l’incendie du sang qui recommence à circuler dans les bras. Il faut de longues minutes avant que l’écran tactile ne reconnaisse le touché de mes doigts et finisse par taire… L’agresseur ou le sauveteur alarmiste? Les fins de nuits diffères, il y a des cauchemars aussi, mais ceux-là on ne fait pas d’effort pour ne pas les oublier. Qu’ils cessent d’être. Voilà, avec l’âge c’est facile!
Il y a aussi des alarmes très fidèles et efficaces, on ne les règle pas, ce sont des alarmes à poils et quatre pattes. Pour peu que la nuit soit agitée et la vessie bien tendue, ils savent où danser pilasser tout en chantonnant des miaulements d’enfant qui pleure. Ça marche à tout coup, la levée du corps est immédiate. C’est qu’elles ont faim ces petites bêtes, d’abord aller à la toilette.
La toilette borde la nuit.