Sous un soleil intense d’octobre
Sous un soleil intense d’octobre les doigts me gèlent crispés au bâton du râteau. Je griffe le sol frénétiquement, mais sans passion, péniblement. Je ramasse les feuilles sous l’érable argenté en gonflant des amas en monts moelleux que le vent, sans avertir, pourrait disperser en blizzard arc-en-ciel. L’empressement m’essouffle et bêtement je ne m’arrête pas pour mettre en sacs. Je refuse obstinément de me pencher finissant par construire une chaîne de collines que pourtant je sais fragile.
Le froid s’infiltre, au gré des mouvements de raclage et des torsions, par l’encolure oscillante du cou, mais surtout par l’ouverture au bas du dos créée par le pan ballant de ma veste. C’est surtout le gaminet trop court et la gueule du jean au creux des reins qui me font craindre l’agenouillement et le dos courbé lors de l’ensachage.
Malheureusement pour moi, il faut me plier, nul autre choix, pour que se retrouvent au bord du chemin ces résidus organiques. Le camion de compostage tourne déjà au bout de la rue. La tâche ne peut donc plus attendre que je change d’accoutrement. Il y a le vent aussi, celui que l’automne nous offre sournoisement lorsqu’il fait beau soleil et qu’il y aura pleine lune le soir. Je dois terminer avant que la fureur fauve de l’air ne souffle mon rude labeur en tourmente irisée.
Le chat tapi sous la haie de cèdres, où il chasse normalement les mulots sylvestre, bondit près de mon talon plaquant au sol avec ses griffes une feuille folle en fuite. Plusieurs autres bougent autour captivantes pour le matou qui s’écrase au sol, immobile, aux aguets, la queu raide allongée au ras de l’herbe sans la toucher et animée de légères syncopes. Après une brève accalmie des ces mouvements aériens, le prédateur fixe d’intrigants fourmillements à la surface de mes buttes légères. Vite comme l’éclair, il me surprend par la puissance d’un saut magnifique. Il fonce toutes griffes devant et disparaît un bon moment dans le tas. Il réapparaît dans une explosion tel un clown de boîte à surprise en dispersant une partie de mon urgent travail. Je souris béatement résigné et heureux plus que contraint. Je recommencerai, c’est certain, et j’apporterai moi-même les sacs de feuilles au centre de tri parce que j’aime voir mon minou en action.
Je m’arrête ainsi le temps de profiter du spectacle parce que ti-mine n’en a pas fini avec sa folie. C’est alors que la poésie m’emporte comme feuille livrée au souffle d’automne.
J’aurais aimé à l’automne être agile et chat
couvert de poils et sans ouverture au froid
et comme foudre au vent pourfendre du moelleux
tel un félin à l’assaut d’un entassement fabuleux
* * * * *
Jules, le mine oublié
J’ai
la mine à la main basse et lasse
une averse inonde âme et ventre
et traverse, fantôme qui éventre
le mine que maître blesse et délaisse
Ah ! L’atroce intolérance des juges domestiques
* * * * *
16 heures 50 (9ème collectif SPUF)
pour Henri-Jimmy
Temps pluies, démesurément invisible
y habite l’absence intangible
rapetissant nos gorges en pleurs
et nos cœurs hurleurs
Nous
nous plus petits
petits nous noués
et nos inoubliables instants
partirons au tourbillon des effritements
avec notre minou turbulent,
mais pas là, non pas là, pas maintenant
Notre fin félin en câlin s'endormit submergé d'amour
temps pluies
* * * * *
Un simple au revoir tout en câlin (9ème collectif SPUF)
Car si certains craignent de vieillir
de disparaître ou partir
vraiment c'est pas si pire
lorsque l'on se sent en des cœurs habiter
que nous-mêmes on ne saurait oublier
* * * * *
Le chaton oublié
Ce matin-là, 5 heures, je roule avec habitude vers le boulot. La nuit n’ayant pas encore quitté l’autoroute, c’est l’hiver, on se les gèle pas rien qu’un peu. Il est apparu, d’abord petit point sombre sur le trait jaune que m’a vitesse transforme lentement en minuscule boule de poils hurlante et chétive. Le chaton oublié, qui est plus minet perdu ou pire abandonné, n’y comprend rien. Il ne sait pas que sa vie est en danger, mais il a peur et souffre. Y a-t-il une fillette en pleurs peut-être appelée Alice qui cherche son ami disparu ?
Je ne m’arrête pas, sans ralentir même, seulement une brève hésitation seulement pour éviter de le tuer. Comprenez-moi, je vous en prie, car à cent kilomètres/heure ce minuscule animal ne devient visible que trop tard dans le faisceau des phares. Le point de non retour est si vite franchi surtout qu’il y a sûrement de la glace noire, traître piège pour l’inconscient qui freine, quelle qu’en soit la raison. Alors je me réfugie dans mes pensées où me revient ce poème que j’ai écrit il y a plus de vingt-cinq ans intitulé « Jules, le mine oublié ». Rien n’a changé. On voit encore de nos jours des animaux domestiques qui errent et meurent trahis. Dans l’habitacle confortable de mon bolide ma rêverie poétique poursuit son chemin stimulée par l’écoute du nouvel album remixé et numérisé des Beatles, Magical Mystery Tour .
Dédramatisant à rompre les ordinaires, mes yeux que j’essayais d’empêcher de gonfler sont restés fixés au rétroviseur une éternité. Alors c’est devenu inévitable, par une étrange acuité visuelle je constate que l’autobus jaune du célèbre groupe musical rôde sur l’autoroute des Cantons de l’Est, me suit maintenant de plus en plus loin. Je venais tout juste de le dépasser parce qu’il avançait trop lentement lorsque je fus captivé par le chat dans une nuit glaciale de janvier sous le regard amusé d’un quartier de lune de bande dessinée.
Malgré la fumée au parfum d’herbes paisibles, les voyageurs, même en chantant à tue-tête, ont peut-être aperçu la pauvre petite bête apeurée grelottant sur l’accotement. J’ose y croire alors que les passagers en cavale fuyant l’ordre établi se sont arrêtés pile devant le chat pour se dégourdir les jambes le long du fossé glacé le temps de pisser un bon coup. La porte de l’autocar étant restée béante pour changer l’air, le mistigri mêlant prudence et témérité s’est inséré au chaleureux nuage. Il y prit légèrement ses aises flottant dans l’habitacle imperceptiblement. C’est à ce moment, semble-t-il, qu’Alice l’aurait aperçu sous la forme d’un sourire imitant l’astre des nuits. Elle aurait aussi laissé entendre que John était volontairement lent dans l’exécution de son besoin pressant permettant ainsi au chaton gelé d’apprivoiser les étranges odeurs du véhicule et de se confondre au voyage et d’être absorbé par ce moelleux sauvetage.
Moi, c’est ce que je crois concernant le mine abandonné. Je préfère ça plutôt que d’imaginer le minet tel une tache au pare-choc ou au pneu avant du véhicule d’un autre tôt levé lancé à vive allure sous les étoiles d’un chemin de grisaille, blanchâtre et de givre salé. Les chatons ne sont pas faits pour ça. Ils ne devraient jamais nourrir les corneilles au petit jour sur les bords de routes.
Cet hiver est vraiment moche encore ce matin.
* * * * *
Ann et la pluie
J’ai fait le ménage de la cour
y viendras-tu dormir un jour ?
Tout le gazon rasé, trimé, ramassé et composté…
Je l’ai fait en pensant à toué
J’ai fait le ménage de ta cour
y reviendras-tu cette nuit mon ti-namour ?
J’ai laissé l’herbe plus haute à l’orée de la haie
y viendras-tu encore chasser, s’il te plaît ?
J’ai fait le ménage du salon, itou
Y dormiras-tu mon ti-minou ?
Je n’ai pas lavé ton coussin
je t’y espère encore chaque matin
ronronnant aux douceurs de ma main
et sur le clavier ton absence me fait chagrin
Toutes les nuits je laisse la porte entrebâillée
pour ton retour mon minet tant aimé
mais tu ne reviendras plu, je le sais
car c’est dans les nuages que tu es alléPuis je m'enpluie
je m’empluie et je m'emploie
je m’empluie de toi mon ti-mine ami